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Fatou Diome: « On voit le monde avec ce qu’on est »
vendredi 8 janvier, 2021 - 10:40

Née au Sénégal, établie en France depuis vingt-cinq ans, Fatou Diome vient de publier son sixième roman, « Les veilleurs de Sangomar« , aux éditions Albin Michel. Évocation sans fausse pudeur d’un parcours atypique teinté de liberté et de désir.

Sans fard et sans détours: ainsi s’exprime Fatou Diome avec tous ceux et celles qui viennent à sa rencontre. Née dans un village de pêcheurs de l’île de Niodior, au Sud du Sénégal, émigrée en France en 1994, elle vient de signer son sixième roman, le premier à paraître chez Albin Michel après une collaboration de plusieurs années avec Flammarion totalisant quatre romans et le très remarqué pamphlet « Marianne porte plainte« , en 2017. Un véritable cri de révolte contre les nationalismes et les populismes de tous poils, à l’heure où l’extrême-droite menaçait de s’emparer de l’Élysée: « J’ai fait ma petite Française, même si ça ne se voit pas« , déclare-t-elle en riant. « C’était plus fort que moi. Les loups menaçaient de s’emparer du pouvoir et je ne pouvais pas supporter ça. Ce que j’ai étudié des humanistes européens et de la France en particulier mérite mieux que ça. »

Femme de Lettres, Fatou Diome croit avant tout en l’action, aussi minime soit-elle: « Ce n’est pas la grandeur de ce qu’on fait qui importe. C’est ce dont on est capable, chacun à son niveau. Nous n’avons pas tous les mêmes compétences ni les mêmes chances pour démarrer dans la vie. Il faut lutter un pas après l’autre. Jeter des poignées de sable dans le Grand Canyon est toujours plus rassurant que l’observation passive du gouffre. C’est autant d’espace gagné sur le néant. »

Liberté, égalité, dignité

Fatou Diome grandit au Saloum, la région natale de Léopold Sédar Senghor, chez les Sérères animistes. Par chance, « Diome » signifie « dignité » en wolof, et sa tribu est de tradition matrilinéaire: « Chez nous, les hommes tiennent leur statut de leur mère. On porte le nom de son père mais on est de la tribu des mères. C’est le lait qui fait la famille. Ma place en tant que femme ne fait pas question dans nos traditions. Ma place, mon frère n’oserait pas la mettre en doute. »

« Je n’ai rien contre les échanges entre les peuples, mais on importe les religions comme on importe du riz thaïlandais – sauf que le riz est plus digeste et fait moins de mal! Il n’a jamais tué personne! »

Élevée par ses grands-parents, Fatou Diome doit à son grand-père pêcheur d’avoir été traitée avec amour et bienveillance, à la dure, à égalité avec les garçons, raison pour laquelle elle considère le féminisme comme découlant naturellement de l’humanisme et des droits humains. « Je ne crois pas à une solidarité genrée. On a du mérite quel que soit son sexe. J’ai eu beaucoup de chance. J’ai appris de mes modèles. Mes grands-parents m’ont élevée avec un amour inconditionnel, dans le respect et la confiance en mes capacités. Ils me jugeaient digne de leur estime. Quand on vous traite comme ça, vous voulez être à la hauteur. Vous vous redressez et ça donne de la force. Je trouve ça beau, pour un enfant. C’est une grande chance d’apprendre à être combative. Déjà toute petite, en Afrique, j’étais jugée comme différente, bizarre, en short, à cheval. Mon grand-père m’a libéré la tête. »

À vingt ans, elle tombe amoureuse « du plus adorable, du meilleur des Français » et le suit à Strasbourg, où elle fera des études de Lettres, puis enseignera à l’Université Marc Bloch et à l’Institut Supérieur de Pédagogie de Karlsruhe, en Allemagne. Dès son arrivée en France, elle se heurte à sa belle-famille raciste et voit son couple exploser. Sans rancune, elle reconnaît aujourd’hui que c’était une découverte de l’humain: « On ne s’appartient pas tout à fait si on n’a pas réussi à bâtir sa liberté intérieure. Peut-être que cet homme était capable d’aimer ailleurs, autrement, mais il n’était pas assez construit pour assumer ce choix. Il n’était pas assez solide pour supporter ça. » S’ensuivent des années de galère pour subsister et parvenir à trouver sa place dans la société française  ce qu’elle raconte dans son premier roman, largement autofictionnel, paru aux éditions Anne Carrière, en 2003. « Le ventre de l’Atlantique » aborde frontalement l’attirance de la jeunesse africaine pour l’Europe et les faux espoirs que charrie l’immigration.

Le succès est au rendez-vous: Fatou Diome ne cessera plus de publier, elle qui, dès l’âge de treize ans, écrivait pour contrer la solitude de la grande ville où elle était partie étudier. « J’écris pour réinventer le monde à ma façon. Je vois ce que je voudrais améliorer, les fragilités humaines qui me touchent, que je voudrais protéger. Victor Hugo a écrit ‘Les misérables’ et il y a encore des SDF à Paris. Il n’y a pas de pouvoir magique à la fiction, mais elle m’empêche de tuer les gens! »

L’animisme comme résistance

Dernier roman paru, « Les veilleurs de Sangomar » rend hommage aux victimes du Joola, ce ferry plus grand que le Titanic qui a coulé entre Zigunchor et Dakar, en 2002, entraînant la mort de deux mille personnes. Fatou Diome s’est emparée du sujet pour en faire un livre puissant sur la consolation, où la jeune veuve Coumba puise dans l’animisme la force de rester debout suite à la perte de son époux adoré, Bouba. Soumise aux « faux dévots » islamistes qui tentent de lui dicter sa façon de vivre son deuil, Coumba se libère en allant à la rencontre des morts lors de rêveries nocturnes rendues possibles par les djinns qui hantent la presqu’île de Sangomar.

Elle prend la plume pour se confier et retrouver le contrôle de son existence afin d’élever sa toute petite fille comme elle l’entend. Un roman construit comme une vague, où affleurent le bercement du deuil et le souffle de la liberté qu’il faut à tout prix protéger: « J’ai connu l’époque où on allait faire des offrandes à Sangomar. C’était plus libre, plus fraternel, plus chaleureux, bien loin des juges de comportement d’aujourd’hui, qui nous somment de nous comporter comme ceci, de nous habiller comme cela. Les nouveaux zélés islamistes qui veulent libérer l’Afrique prennent les croyants en otage. Ce sont des ignorants qui s’approprient la religion et la détournent de sa fonction première, qui est de relier. Ils exploitent la naïveté des gens. C’est indigne! »

Fidèle à l’esprit humaniste de Sédar Senghor, Fatou Diome n’hésite pas à rappeler l’importance du dialogue des peuples et le respect mutuel des cultures, au contraire de l’influence néfaste des religions monothéistes qui n’ont, selon elle, rien à voir avec l’Afrique! « Je n’ai rien contre les échanges entre les peuples, mais on importe les religions comme on importe du riz thaïlandais – sauf que le riz est plus digeste et fait moins de mal! Il n’a jamais tué personne! Aujourd’hui, la jeunesse africaine est prise entre deux feux: d’un côté, les bonimenteurs du christianisme; de l’autre, les marabouts vicieux qui épousent des kyrielles de femmes au lieu d’embrasser la quête spirituelle. On nous a demandé d’éliminer nos anciennes royautés pour bâtir une république sénégalaise. Et ces nouveaux chefs religieux transmettent leur pouvoir de père en fils, alors que le savoir s’acquiert en étudiant, pas par le sang! J’ai écrit 336 pages pour parler du Joola, c’est ma commémoration à moi. Je ne veux pas qu’un groupe religieux s’approprie mon soutien, sinon j’irai brûler des cierges sous un baobab!

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